Le trésor de Marguerite de Fumel
Après avoir racheté le Château de Bonaguil en 1761, Marguerite de Fumel s’employa à transformer la vieille forteresse austère en une demeure accueillante. Elle avait à cœur d’y recevoir sa famille et ses amis.
Entre 1756 et 1763 la guerre de 7 ans fait rage et un nouvel ordre mondial se dessine avec la suprématie de la Royal Navy sur tous les océans du globe. La France doit céder de nombreux territoires et colonies aux Britanniques, de l’Amérique aux Indes.
Dans cette tourmente, le port de Bordeaux doit s’adapter à des conditions de commerce de plus en plus difficiles et les nombreux armateurs doivent chercher de nouvelles voies commerciales.
L’Ile Bourbon (aujourd’hui La Réunion), si éloignée de la métropole et du conflit entre les deux grandes puissances connaît en cette deuxième partie du 18ème siècle un formidable essor économique. La canne à sucre y est cultivée depuis longtemps en abondance, déjà transformée sur place en alcool, puis le café et les épices, ensuite transportés jusqu’à Bordeaux.
En 1762 Marguerite de Fumel se rendit chez son frère Joseph de Fumel dans son Château Margaux. Quelques années auparavant celui-ci avait fait replanter le vignoble en n’utilisant que des cépages « nobles » qui allaient conduire les vins du Château à la renommée que l’on connait aujourd’hui, et qui déjà se payait fort cher.
C’est à l’occasion de ce séjour que la châtelaine du Lot et Garonne rencontra, armateurs, négociants, gens de mer avec qui son frère traitait la vente et l’exportation de ses vins.
Tous ces échanges l’abreuvaient littéralement sur ces contrées de France si lointaines, visitées par si peu de personnes, sur la marche de ce commerce devenu -déjà- mondial, sur ces produits si exotiques. Elle savait, bien sûr -alors qu’il fallait une dizaine de jours pour effectuer en voiture à cheval le trajet entre son château et Bordeaux- que le monde était vaste, qu’il ne se limitait pas à Fumel ou Bordeaux ou Versailles.
Ces longues discussions, avec des personnes si différentes, conjuguées à son ouverture d’esprit, sa volonté de mieux comprendre les choses, l’amena naturellement à vouloir découvrir très concrètement ces produits.
Marguerite, avec son caractère fougueux, insista auprès de son frère pour qu’il l’emmène visiter les entrepôts jouxtant le port de Bordeaux, dont elle savait qu’il grouillait d’une foule affairée, pour voir, toucher, comprendre ce commerce bouillonnant.
Ce dernier, amusé par la curiosité de sa chère sœur qu’il savait volontaire et déterminée, se plia de bonne grâce à sa demande.
Et c’est ainsi, lors d’une visite d’un entrepôt regorgeant de marchandises de toutes sortes, à peine déchargées de lourds navires, au milieu de barriques suintantes ayant parcouru les plus grands océans que Marguerite de Fumel dégusta son premier jus du « roseau de miel » en provenance de l’Ile Bourbon.
Ce fût une révélation, un éblouissement, elle n’avait jamais rien bu de comparable, toute la richesse et la variété de ces arômes, toute la finesse de ces saveurs l’envoûtèrent instantanément.
Durant son séjour au Château Margaux elle revint ensuite à plusieurs reprises dans cette maison de commerce se faire longuement expliquer -à la grande surprise du propriétaire des lieux- comment ce rhum était produit, goûter plusieurs productions différentes, en percevoir toutes les nuances, les subtilités, comprendre quels pouvaient être les effets du vieillissement de ces merveilleux jus dans un tonneau fait de tel ou tel bois.
Femme d’initiative, audacieuse et visionnaire, une idée avait germé en elle. Faire venir plusieurs barriques au Château de Bonaguil pour se livrer à des « expériences ».