L'Expérience du Château Margaux
En cette année 1762, au cœur de l’été bordelais, Marguerite de Fumel prit la décision de prolonger son séjour auprès de son frère Joseph, dans son majestueux Château Margaux. Ce dernier, Soldat du Roi, devait bientôt repartir traverser l’Europe pour servir le royaume. Cette parenthèse paisible dans le Bordelais offrait à Marguerite une échappée belle, loin des grands travaux de transformation entrepris au Château de Bonaguil, où l’on s’efforçait de rendre l’imposante forteresse plus confortable pour y vivre de façon permanente.
La curiosité de Marguerite la portait ailleurs, vers un autre univers qui la fascinait : celui de la vinification et du vieillissement des crus. Le Château Margaux, réputé pour ses vins d’exception, devenait pour elle un véritable terrain d’expérimentation et d’étude. Les vignes, les grappes mûrissant sous le soleil du Bordelais, le vin vieillissant dans les barriques : tout dans cet univers éveillait en elle un désir de compréhension.
Les artisans du domaine, maîtres dans l’art de la vinification, lui transmettaient leur savoir-faire, leurs secrets et leurs gestes millénaires. Marguerite s’intéressa à la tonnellerie, l’une des pièces maîtresses de la transformation des vins en chefs-d’œuvre. Le Maître de Chai, avec une bienveillance presque paternelle, lui enseigna les subtilités du choix des bois pour la confection des tonneaux et barriques. Le chêne de Tronçais, le chêne du Limousin, chaque essence avait sa propre influence sur la texture du vin. « C’est le bois qui murmure au vin et lui donne son âme », disait-il souvent.
Intriguée par la manière dont le bois pouvait métamorphoser le produit final, Marguerite poursuivait ses visites dans les entrepôts du port de Bordeaux, où elle se plongea dans l’étude des différentes techniques de bonification des vins et des alcools. Les vins fortifiés, les mêlées de distillats, les liqueurs d’armagnac : elle abordait ces sujets avec une insatiable soif de connaissance, explorant les mystères de la fermentation et de la distillation, qui, comme elle le pressentait, étaient des alliés précieux pour ses projets futurs.

L’automne arriva, et avec lui, la période intense des vendanges. Marguerite voulu vivre cette expérience jusqu’à ce que la dernière grappe soit récoltée, le vin encore frais et jeune, l’air empli des odeurs de raisin mûr. Elle suivit de près chaque étape de la vinification, appréciant la lente alchimie de la transformation du raisin en liquide précieux. Les barriques qui se remplissaient, luisant sous la lumière pâle de l’automne, semblaient lui murmurer des promesses de vieillissement parfait.
Saisie par l’art des vignerons, Marguerite observait, apprenait, scrutait. Elle suivait pas à pas le processus de vinification, du pressurage des raisins aux premiers signes de fermentation. Les arômes subtils qui s’échappaient des cuves et l’effervescence des levures dans les tonneaux alimentaient sa passion. Elle s’attacha particulièrement à comprendre l’importance de chaque étape du vieillissement, cherchant à discerner les influences des terroirs et des bois sur le goût du vin.
Une fois les vendanges achevées, Marguerite se lança dans un autre périple : le choix des fûts. Sur le chemin du retour à Bonaguil, parcourant la région, elle fit halte dans différentes tonnelleries pour sélectionner avec soin les tonneaux dans lesquels elle allait faire reposer son rhum de l’île Bourbon, ce nectar précieux qu’elle avait découvert à Bordeaux. Chaque barrique, chaque grain de bois choisi représentait une promesse, un terrain d’expérimentation pour ses futures créations.
De retour à Bonaguil, elle constata avec plaisir que les travaux dans la forteresse avaient bien avancé, mais Marguerite n’avait qu’une hâte : mettre en œuvre ses expériences. Après des mois de préparation, elle allait enfin observer comment son rhum, ce jus de « roseau de miel » , réagirait aux différentes essences des fûts. Elle savait maintenant qu’en choisissant des bois aux caractéristiques aussi distinctes que le chêne du Limousin ou de Bretagne, ou même des bois moins conventionnels, elle pourrait influer sur l’évolution des saveurs du rhum. Quels arômes nouveaux, quelles nuances boisées viendraient se mêler à la rondeur et aux épices du rhum ? L’aventure sensorielle ne faisait que commencer.
Elle attendait avec impatience l’instant où, au bout de quelques mois, elle dégusterait ses premières cuvées et observerait, comment l’interaction entre le temps, le bois, et la distillation avait métamorphosé les jus. Comme le vin, comme le destin, chaque spiritueux, chaque goutte de rhum, était une transformation lente et magique, guidée par la main sûre de Marguerite de Fumel, héritière d’une lignée de visionnaires.